La petite fille aux allumettes.
Conte de Noël
Hans Christian d'Andersen (1846)
Il faisait terriblement froid. C'était l'hiver. De gros flocons tombés sur un sol gelé. Il neigeait depuis le matin. Il faisait déjà sombre, le soir approchait vite et c'était le dernier jour de l'année. Au milieu des rafales de vent froid et glacial, une petite fille pauvre marchait dans la rue. Elle n'avait rien sur la tête, elle était pieds nus et était très peu habillée. Lorsqu'elle était sortie de chez elle le matin, elle avait eu de vieilles pantoufles beaucoup trop grandes pour elle. Aussi les perdit-elle lorsqu'elle eut à se sauver devant une file de voitures. Les voitures passées, elle chercha après ses chaussures. Un méchant gamin s'enfuyait emportant en riant l'une des pantoufles, l'autre avait été entièrement écrasée.
Voilà la petite fille n'ayant plus rien pour abriter ses pauvres petits pieds. Dans son vieux tablier, elle portait des allumettes, elle en tenait à la main un paquet. Mais ce jour, la veille du nouvel an, tout le monde était affairé par cet affreux temps, personne ne s'arrêtait pour considérer l'air suppliant de la petite qui faisait pitié. La journée finissait et elle n'avait pas encore vendu un seul paquet d'allumettes. Tremblante de froid et de faim, elle se traînait de rue en rue.
Des flocons de neige couvraient sa longue chevelure blonde. De toutes les fenêtres brillaient des lumières. Presque toutes les maisons sortait une délicieuse odeur de cuisine pour le festin du soir. C'était la Saint-Sylvestre.
Enfin, après avoir une dernière fois offert en vain son paquet d'allumettes, l'enfant aperçoit une encoignure entre deux maisons, dont l'une dépassait un peu l'autre. Harassée, fatiguée, elle s'y assois et s'y blottit, tirant vers elle ses petits pieds gelés, mais elle grelotte et frissonne encore plus qu'avant et cependant elle n'ose rentrer chez elle. Elle n'y rapporterait pas la plus petite monnaie et son père la battrait.
L'enfant avait ses petites mains toutes transies et rougies par le froid. « Si je prenais une allumette, se dit-elle, une seule pour réchauffer mes mains? » C'est ce qu'elle fit. Quelle flamme merveilleuse c'était!
Il sembla tout à coup à la petite fille qu'elle se trouvait devant un grand poêle en fonte, décoré d'ornements en cuivre. La petite allait étendre ses pieds pour les réchauffer, lorsque la petite flamme s'éteignit brusquement. Le poêle disparut et l'enfant restait là, tenant à la main un petit morceau de bois à moitié brûlé.
Elle frotta une seconde allumette. La lueur se projetait sur la muraille qui devint transparente. Derrière elle, la table était mise. Elle était couverte d'une belle nappe blanche, sur laquelle brillait une superbe vaisselle de porcelaine. Au milieu s'étalait une magnifique oie rôtie, entourée de compote de pommes. Et voilà que la bête se met en mouvement et avec un couteau et une fourchette fixés dans sa poitrine, vient se présenter devant la pauvre petite. Et puis plus rien: la flamme s'éteint.
L'enfant prend une troisième allumette et elle se voit transportée près d'un arbre de Noël, splendide. Sur ses branches vertes, brillaient mille bougies de couleurs. De tous les côtés, pendait une foule de merveilles. La petite étendit la main pour saisir la moins belle. et l'allumette s'éteignit. L'arbre semble monter vers le ciel et ses bougies deviennent des étoiles. Il y en a une qui se détache et qui redescend vers la terre, laissant une trainée de feu.
« Voilà quelqu'un qui va mourir » se dit la petite. Sa vieille grand-mère, le seul être qui l'avait aimée et chérie et qui était morte il n'y avait pas longtemps. Elle lui avait dit que lorsqu'on voit une étoile qui file d'un autre côté, une âme monte vers le paradis. Elle frotta encore une autre allumette, une grande clarté se répandit et devant l'enfant, se tenait la vieille grand-mère.
- Ho Grand-mère, s'écria la petite, grand-mère emmène-moi. Oh! tu vas me quitter quand l'allumette sera éteinte. Tu t'évanouiras comme le poêle si chaud, le superbe rôti d'oie et le splendide arbre de Noël. Reste je te prie, ou emporte-moi avec toi.
Et l'enfant alluma une nouvelle allumette et puis une autre, et enfin tout le paquet pour voir la bonne grand-mère le plus longtemps possible. La grand-mère prit la petite dans ses bras et elle la porta bien haut, en un lieu où il n'y avait plus ni de froid, ni de faim, ni de chagrin. C'était devant le trône de Dieu.
Le lendemain matin cependant, les passants trouvèrent dans l'encoignure le corps de la petite. Ses joues étaient rougies par le froid, elle semblait sourire. Elle était morte de froid, pendant la nuit qui avait apporté à tant d'autres des joies et des plaisirs. Elle tenait dans sa petite main toute raidie, les restes brûlés d'un paquet d'allumettes.
- Quelle sottise ! dit un sans-coeur. Comment a-t-elle pu croire que cela la réchaufferait ? D'autres versèrent des larmes sur l'enfant. C'est qu'ils ne savaient pas toutes les belles choses qu'elle avait vues pendant la nuit du nouvel an, c'est qu'ils ignoraient que, si elle avait bien souffert, elle goûtait maintenant dans les bras de sa grand-mère la plus douce félicité.