Contes des mille et un matins

 

 

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***

 

Le soldat de plomb

La lune de Noël erre à travers la chambre.
Au dehors, on entend tous les vents de décembre.
Les, jouets sont jetés au hasard, négligés,
Car pour des jouets neufs ils vont être changés.
Polichinelle boite a présent et sa bosse est cassée.
Un cocher sur un petit carrosse
Sans roue, en carton peint, semble s'ennuyer fort.
Jadis coquette, une poupée aux cheveux d'or
A la religion à présent se consacre.
Les fantoches sont morts dans le jeu de massacre.
Un ballon a rendu son âme en éclatant.
Et les soldats de plomb sont vaincus par le temps
Puis sûrement que par la mitraille en pois chiches.
Cet arlequin ne fera plus jamais de niches,
Il gît, les bras ouverts, très pale sous son loup.
De l'arche de Noé il ne reste qu'un loup
Et qu'un agneau. Le fil du pantin se détraque
Et le cheval de bois si l'on y monte craque
Et l'oiseau mécanique est pour toujours muet.
La chambre est comme un cimetière de jouets.

Minuit sonne. A minuit les jouets se réveillent.
Or un soldat de plomb est valide, ô merveille !
Car il court à la porte et revient, puis il fait
Un grand salut d'adieu au peuple des jouets.
Alors, une danseuse en papier se décolle
D'un petit socle en bois. Ses cheveux l'auréolent  
De blondeur et sa robe a des paillettes d'or.
Elle fait bouffer un volant, ajoute encor
De la poudre et comme un rayon du crépuscule
Dont le pied chausse une pointure ridicule;
Elle s'envole en frissonnant, en froufroutant.
Prés du soldat de plomb, pour lui crier Attends...
 
- LA DANSEUSE DE PAPIER
Où t'en vas-tu, petit soldat, vois comme il neige !
Minuit sur la maison répand ses sortilèges.
Vêtus de noir les douze coups se sont glissés
Par les longs corridors et dans le parc glacé...
Dehors, mille dangers te guettent...

- LE SOLDAT DE PLOMB
Que m'importe !
Pour toujours sans regrets je vais franchir la porte...
Au pied d'un vieux sapin dans la nuit de Noël
Sous sa robe d'argent, avec sa barbe en ciel,
Ses yeux de diamant, ses mains de porcelaine
Et son cœur de cristal qui luit, ses pieds de laine,
Sur un trône de neige est le roi des jouets...
Une fois dans l'année il entend ses sujets.
Celui qui survécut, sans même une ecchymose,
Par la force du plomb ou par toute autre cause,
La ruse, le courage et, mon Dieu c'est le cas,
Celui qui garde encor sa tête, ses deux bras,
Peut voir changer le plomb, le papier, dont nous sommes
Pétris, nous les jouets, en chair vivante d'homme.
Il siège jusqu'au chant du coq et j'obtiendrai
De ne plus fondre au feu, de n'être plus doré,
De posséder des pieds séparés de mes bottes
Et d'avoir un shako que de ma tête j'ôte
A volonté.

- LA DANSEUSE DE PAPIER
 Pourquoi ? N'étais-tu pas heureux parmi nous.

- LE SOLDAT DE PLOMB
Hélas non, car je suis amoureux.

- LA DANSEUSE DE PAPIER
Toi, de qui ?  

- LE SOLDAT DE PLOMB
D'une enfant de la race des femmes.
Que de fois j'ai bravé la chaleur de la flamme,
Blotti sous les chenets où chante le sarment
Pour frôler son petit soulier, son pied charmant,
Et voir sur son fauteuil comment elle se chauffe.
Que de fois, entendant un froissement d'étoffe
Dans la boîte où j'étais avec le régiment,
le me suis redressé, rompant l'alignement.
Ni la bergère verte et bleue et qui gouverne
Une Suisse microscopique de luzernes
Et de petits sapins en carton vert et bleu,
Ni la poupée ayant de l'azur dans les yeux,
Ni le coucou qui dans l'horloge dit les heures,
Ne m'ont jamais donné, quand sa robe m'effleure,
Le frisson merveilleux qui pénètre mon coeur...
Les jouets ont perdu la forme et la couleur
Et je pars...

- LA DANSEUSE DE PAPIER
Je ne suis qu'une pauvre danseuse
De papier, mais je sais les lois mystérieuses
Des coeurs des femmes, mieux que toi. Ne t'en va pas.
Ces coeurs sont comme les rodages délicats
Qui font dire papa, maman, à la poupée...
La jeune fille est simplement plus occupée
Que la poupée, avec des mots pour s'exprimer
Plus nombreux, voilà tout. Elle sait moins aimer,
Elle est bien moins que nous tendre, douce et fidèle
Et tu continuerais d'être un jouet près d'elle.

- LE SOLDAT DE PLOMB
Pourquoi ? J'ai de l'esprit, je ne suis pas mal fait.
J'ai quelques dons...

- LA DANSEUSE DE PAPIER
Nul mieux que moi ne les connaît.
Chez les jouets j'ai répandu ta renommée.
Je te suivais des yeux parmi la grande armée
Et songeais, souriant à ton visage blond:
Pourvu qu'il ait un coeur qui ne soit pas de plomb.

- LE SOLDAT DE PLOMB
Tiens ! tiens !

- LA DANSEUSE DE PAPIER
Reste avec nous C'est la charmante époque
Où là-haut, au milieu des malles, des défroques.
On relègue les vieux jouets dans le grenier.
Là, dorment des objets bizarres, par milliers.
Les anciens arbres de Noël, ayant aux branches
Les fils d'or qui nous attachaient, les caisses blanches
Où beaucoup d'entre nous jadis ont voyagé,
Des livres incomplets, des bateaux naufragés,
Des vêtements avec des trous, avec des taches,
Des meubles où l'on peut jouer à cache-cache,
Des cadres sans tableau, des souliers à foison.
Le grenier, c'est le paradis de la maison !
Un pantin qu'on était allé chercher la veille
Dans ce chaos m'en a raconté les merveilles.
Mais un soldat de plomb comme toi courageux
Et bien armé, peut, tout le jour chasser par jeu
Les rats, ou l'araignée au milieu de sa toile..
Par la fenêtre ouverte on peut voir les étoiles
Et des tuiles du toit l'eau filtre quand il pleut...
Nous connaîtrons des nuits pleines de rayons bleus
Et nous voisinerons avec les hirondelles...
Je prendrai des leçons en regardant leurs ailes
Et je danserai mieux connaissant les oiseaux.
D'un tiroir renversé nous ferons un château ;
Les jouets impotents y trouveront la table
Et le lit prêts, car nous serons très charitables.
Ton manteau de soldat suffit pour deux, je crois.
Et je m'y blottirai la nuit auprès de toi...

Que n'a-t-elle pas dit, la petite danseuse ?
Elle était, en parlant, rose et délicieuse
De crainte, de tendresse et de timidité,
Avec sa robe et ses cheveux d'or pailletés
Où par moment un courant d'air faisait des ondes...
Et le soldat, auprès de la danseuse blonde
hésitait ; cependant la nuit allait finir.
Alors, pour mieux lui plaire et mieux le retenir,
Elle prit dans un coin un voile en gaze rose
Et se mit à danser pour lui, prenant des poses
Exquises et tournant si bien qu'elle avait l'air
D'une rose dans un tourbillon de feu clair ;
Et la danse était si captivante et si folle
Et le soldat sentait la chaleur d'une épaule,
Le cercle de deux bras, le mouvement des seins,
Et l'envol des cheveux si proche, qu'à la fin
N'en pouvant plus grisé d'une adorable fièvre
Il pencha brusquement sa bouche vers les lèvres
Qui se tendaient...
 
Le coq chanta. C'est pour toujours
Dit le soldat, je t'aime!.. Et comme si le jour
Voulait à cet amour faire une apothéose,
La flamme des carreaux gagna la gaze rose
Que la danseuse avait enroulée en dansant
Et rougit les amants d'une couleur de sang.
La gaze rose avait traîné parmi la flamme
Du foyer... Comment fuir quand l'amour naît dans l'âme
Et que ce qui Vous brûle est ce qui vous unit.
Leur amour commençait et leur amour finit
Dans le premier rayon de cette matinée...

En balayant on retrouva dans la journée
Un informe morceau de plomb fondu, collé
A du papier qui dessinait un cœur brûlé.

Maurice Mâgre.

 

Source: Journal le Matin (1910).

 

* Ce conte de Noël n'est pas un conte de Provence. Je vous le fait découvrir car je l'ai trouvé joli.

 

 



15/10/2020
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